Le révolutionnaire plébéien Albert Mazuel. (Première partie)

Albert Mazuel, personnalité secondaire, mais non mineure de la Révolution française, n’est pas le plus connu de ceux qui accompagnèrent Hébert à l’échafaud. Pourtant, il participa à de nombreux événements cruciaux. Pour s’en convaincre, il suffit de lire la notice détaillée de Tuetey le concernant dans le Répertoire général des sources manuscrites de l’histoire de Paris pendant la Révolution française.[1] Plusieurs historiens se sont intéressés à lui, soit au détour d’un chapitre, ou soit même pour des articles complets comme Mazuel et l’hébertisme de Maurice Dommanget[2]. Richard Cobb dans l’Armée révolutionnaire instrument de la Terreur dans les régions lui consacra de nombreuses pages[3], preuves s’il en fallait de l’intérêt que peut susciter ce personnage. Cette biographie, tout en tentant d’éviter de tomber dans le piège premier de surestimer l’importance de la personne étudiée, rassemble les renseignements disponibles et éclaircit quelques-unes des nombreuses zones d’ombre concernant ce révolutionnaire.
Jeunesse
Fils de cordonnier lyonnais

Albert Mazuel[4], aîné de six frères et sœurs nait à Lyon le 2 novembre 1765[5]. Son père, issu d’une lignée de cordonniers dauphinois est lui-même maître cordonnier et décède dans cette ville douze ans plus tard en 1777[6]. Le cercle relationnel parental est essentiellement celui des cordonniers, mais aussi des corroyeurs, des ouvriers en soie, matelassiers et doreurs. Pourtant, orphelin de père très jeune et issu du petit artisanat, Mazuel reçoit toutefois une éducation assez soignée. Ainsi à l’instar des chefs révolutionnaires, il n’est pas le dernier à citer Brutus[7], Coriolan[8]...
En 1794, il déclare qu’à Lyon il exerça comme premier métier celui de son père, puis qu’il devint dessinateur en broderie. C’est ce dernier métier qu’il indique lorsqu’en 1786 il épouse à l’âge de 21 ans Antoinette Delpech, coiffeuse et fille d’un maître cordonnier[9]. L’année suivante, toujours à Lyon qui connaît alors une période de crise économique[10], Antoinette donne naissance à un enfant prénommé Jean[11].
Le Montpelliérain
Est-ce cette crise qui est la raison poussant le couple à s’installer à Montpellier ? Ils y ouvrent un commerce en broderie qui semble assez florissant malgré les dires de Mazuel[12]. Ainsi, au baptême de son second fils en la paroisse Notre-Dame de Montpellier en janvier 1789[13], les témoins ne sont plus issus de l’artisanat, mais de la bourgeoisie. Le parrain Jean Gérald Célarier se déclare être bachelier, et parmi les autres signataires se trouvent un docteur en médecine, et certainement un fils d’apothicaire[14]. Fait étonnant, Albert est alors indiqué : « Mazuel dit Morel[15]. »

Les débuts de la carrière militaire et révolutionnaire de Mazuel s’avèrent assez obscurs. En germinal an 2, Borsat « cavalier révolutionnaire, ci-devant officier des chasseurs à cheval », dans un interrogatoire au Comité de sûreté générale indique :
« [...] depuis longtemps (je) le connaissais, je savais de quoi il était capable ayant servi dans Champagne avec lui d’où il a déserté, il vint se réfugier à Lyon, lieu de sa naissance où il joua le baladin au Breteau (sic) sept à huit mois (…)[16]. » Fait-il allusion au « Royal champagne cavalerie » ? Toutefois, ces renseignements ne sont corroborés par aucun autre document.
En juin 1790, lors de la « bagarre de Nîmes », la Garde nationale de Montpellier vint rétablir le calme ; et participa, l’hiver suivant, à l’offensive patriote contre le camp de Jalès[17]. Mazuel, doit en être membre, car il indique : « moi qui depuis la Révolution est essuyé et payé de ma personne au massacre de Nîmes[18], qui me suis montré le premier contre les germes du fanatisme à Montpellier et dans les Cévennes[19]. »
D’autres révolutionnaires d’origines montpelliéraines nous fournissent quelques brides supplémentaires sur cette période. Ainsi Victor Aigoin futur secrétaire de Robespierre indique : « Mazuel a toujours pris le parti des patriotes dans le midi et a été en butte aux persécutions des autorités modérées[20]. » Quant au conventionnel Cambon, il écrit : « Mazuel habitait Montpellier lors de mon départ pour Paris (en 1791). Il était connu pour son patriotisme. Depuis mon absence il a été condamné par la police correctionnelle. Il accuse les aristocrates d’avoir exercé cette vengeance[21]. » Mazuel reconnaît lui-même avoir rencontré des soucis avec la justice de Montpellier à l’instigation des aristocrates et des modérés n’appréciant pas son esprit maratiste.
Durant cette période, Montpellier se trouve à l’avant-scène révolutionnaire. Les « Amis de la Constitution et de l’égalité », société Jacobine de plus de trois cents membres issus en grand nombre de la bourgeoisie locale et à forte dominance protestante, dès juin 1791 rédigent une pétition en faveur de la République[22]. Parmi eux, on peut citer Jacques Gilles Henri Goguet futur général, Cambon père et fils, François Mireul[23], Aigoin... [24]. Albert Mazuel, si étonnamment, il n’appartient pas à cette société ; toutefois, il entretient au moins des relations avec cette bourgeoisie locale Jacobine qui n’hésitera pas ultérieurement à lui demander des lieutenances pour ses fils dans la future Cavalerie révolutionnaire[25].
Le fédéré de 1792
Prévue pour le 14 juillet 1792, la seconde fête de la Fédération fixée par décret à l’Assemblée nationale reçoit dans un premier temps le veto royal. Mais malgré cela, le 26 juin, le Directoire du département de l’Hérault décide que ce veto n’est pas suspensif à l’exécution du décret[26]. Il envoie une adresse au Roi et au peuple parisien indiquant que les Montpelliérains veulent défendre la liberté et les droits acquis[27]. Sous l’impulsion des « Amis de la Constitution et de l’égalité », dont surtout Mireul et Goguet, un registre d’inscription est rapidement ouvert, et l’Hérault fournit 250 hommes, dont 80, pour le district de Montpellier[28]. Albert Mazuel se trouve élu à la tête de la compagnie destinée à représenter la ville[29]. Le député Cambon indique à la séance de l’assemblée du 30 juin que « les gardes nationales du département de l’Hérault choisies pour former la fédération projettée, étaient en marche »[30]. Lors d’une étape à Dijon, Mazuel rallie sous son commandement la première compagnie des fédérés des Côtes d’or lui conférant un certain prestige à son arrivée à Paris[31].
Le 10 août
Il avait été décidé par l’assemblée que les fédérés parvenus à Paris assisteraient à la fête de la Fédération. Ensuite, ils se dirigeraient sur Soissons pour se former avant de partir aux frontières[32]. Mais, suite à la journée du 20 juin, l’entrée en guerre de la Prusse aux côtés de l’Autriche et la déclaration de la patrie en danger qui s’en suit, une partie des Parisiens révolutionnaires accueillent les fédérés avec enthousiasme et souhaitent ardemment qu’ils demeurent à Paris après le 14 juillet. Le 13 juillet, Danton indique aux Jacobins :
« Le danger de la patrie a appelé ici nos frères d’armes des départements ; ils peuvent donc examiner ce qu’ils croient le plus propre à sauver la chose publique. Et, je le demande au constitutionnel le plus serré, ne puis-je pas dire ce que j’ai dit vingt fois : peuple, on vous abuse, jamais on ne compose avec les tyrans ! — En exprimant cette pensée, j’use du droit de tout homme libre d’énoncer son opinion. — Eh bien, si les fédérés l’avaient aussi, cette opinion ; s’ils disaient ce que pense toute la France, que le danger de la patrie ne vient que du pouvoir exécutif, qui leur ôterait donc le droit d’examiner cette question ? [33]»
Un certain nombre d’eux qui s’étaient engagés initialement pour partir défendre aux frontières, tant que l’ennemi intérieur n’est pas détruit demeurent à Paris et veulent en découdre. Ainsi sont reportés des propos tenus le 15 juillet par quatre fédérés dans un cabaret du faubourg Saint-Antoine : « Vous autres Parisiens, vous êtes trop bons, trop mous, vous êtes bien heureux que nous soyons venus pour finir ce que vous avez commencé, et quand nous y serons, il faudra bien que ça crève, et nous ne lâcherons pas le pied comme vous[34]. » Et, dans la multitude de pétitions de cette période, certaines proviennent des fédérés allant jusqu’à réclamer la déchéance du roi[35].
Ils s’organisent, et des bataillons sont formés dont celui des 83 départements[36]. Un Comité central de quarante-trois membres, réduit ensuite à cinq est créé. Ce comité siège dans la salle de correspondance des Jacobins, et son premier président est Gabriel Vaugeois fédéré du Loir-et-Cher[37], puis, semble-t-il, Gaillard fédéré de Lyon jusqu’au 10 août[38]. Ce comité s’allie avec les sections les plus révolutionnaires et Paris et participe au projet d’insurrection.[39] Ce projet ne peut être mis en œuvre qu’après l’arrivée des Brestois et des Marseillais. Et donc, le 10 août, tôt le matin, cette insurrection éclate ; les Fédérés[40] et les Parisiens des faubourgs se dirigent vers les Tuileries. Mazuel fait preuve de courage durant les violents combats. Notons qu’il est déjà assez connu auprès des Jacobins pour qu’on y indique par erreur à la séance du soir qu’il est mort dans la mêlée[41]. Dès le lendemain même, il devient président de ce comité central des fédérés[42], et s’acquitte de sa tâche avec conviction. Il y noue des amitiés durables notamment avec deux de ses secrétaires temporaires et venant de Nancy Bourgeois[43] et Lang[44].

Mazuel délivre des certificats de bravoure, dont le 19 août celui de Claire Lacombe[45], organise les hommages dédiés aux fédérés morts au combat et se met à fréquenter assidûment les séances des Jacobins où il y intervient régulièrement. Ainsi, à celle du 12, il dément en personne son décès et demande aux citoyens de Paris d’honorer au champ de Mars les fédérés tombés à « l’attaque de la nouvelle bastille[46]. » Il y propose une souscription à cet effet. Voici le texte de l’invitation :
« VIVRE LIBRE OU MOURIR
LES FÉDÉRÉS
DES QUATRE-VINGT-TROIS DÉPARTEMENTS
AUX CITOYENS DE PARIS.
Frères et Amis,
Nous venons de renverser avec vous l’énorme colosse qui menaçait de nous écraser. Il en a coûté le sang de nos camarades et des vôtres ; mais ne le regrettons pas puisqu’il nous a assuré une glorieuse victoire. Le nôtre est prêt à couler encore pour le soutien de la même cause, et malheur à ceux qui voudront la combattre. Nous avons fait mordre la poussière aux satellites du tyran suspendu ; et nous ne craignons pas le réveil terrible qu’on semble nous annoncer. Un devoir sacré, un devoir religieux nous engage aujourd’hui à vous inviter de vous joindre à nous, non pour répandre des larmes, mais pour couvrir de fleurs l’urne sacrée qui contient les cendres des généreux guerriers qui ont péri dans le combat ; veuillez donc vous trouver, dimanche à huit heures du matin, dans la cour des Jacobins d’où nous partirons pour nous rendre au lieu de la cérémonie. Les dames patriotes sont instamment priées de venir embellir la fête par leur présence, en habit blanc ceint d’un ruban aux trois couleurs et portant des guirlandes pour coiffure. Nous comptons aussi sur le talent des amateurs et musiciens de chaque section. Nous trouverons, les uns et les autres, la plus chère des récompenses dans les bénédictions de la Patrie.
MAZUEL, président de l’Assemblée générale ; DUBOIS-LAMMARTINIE, président du Comité fédératif de subsistance ; LOYS, PELLETOT père, FLAMAN, SÉLÉGIA, LEMIERRE, BONNET, DUBOIS, GOSSERET, commissaires ; TRÉHAN, secrétaire.[47]
Le Jacobin
Le 20 août, en qualité de président du comité central des fédérés des quatre-vingt-trois départements, il intervient à la tribune du club des Jacobins. Il y exprime le ressenti de ceux de tous les départements[48]. En comparaison des Marseillais et des Brestois, ceux-ci dans les comptes-rendus des journalistes se sentent oubliés :
« [...] comme si, aux Tuileries, les fédérés des quatre-vingt-trois départements n’avaient pas également signalé leur courage et leur patriotisme ; comme si, dans l’armée volante dont on vient de parler, il n’y avait de fédérés que les trente Marseillais. « Qu’auraient fait aux Tuileries les Marseillais, les Brestois et les autres fédérés, s’ils n’eussent été soutenus par les citoyens de trente-sept sections de Paris ? Nous sommes donc tous frères, tous soutiens et défenseurs de la liberté, de l’égalité. Plus de distinction donc entre nous ; qu’il ne soit question désormais que des fédérés et des Parisiens (…) [49] ». Chabot loue son discours, et les engage à ne pas quitter Paris.[50]
Mazuel avait précédemment écrit cette réclamation au journal « Révolutions de Paris » de Prud’homme : « Monsieur, l’assemblée générale des fédérés, séante aux Jacobins, vous prie de vouloir bien ne mettre aucune ligne de démarcation dans votre feuille ; tous les fédérés sont égaux ; les Marseillais, les Bretons & les autres fédérés des 82 départements ne sont qu’un ; vous obligerez ceux qui sont parfaitement, monsieur, Mazue (sic), président, Fauville secrétaire, les fédérés des 82 départements.[51] »
Toujours aux Jacobins, le 24 août en tant que fédéré de l’Hérault, il demande un casernement, un équipement, à prélever sur « les vingt-quatre mille livres trouvées dans le secrétaire de Marie-Antoinette » et un entraînement pour tous les fédérés de province afin de pouvoir ainsi « [...] défendre et assurer le règne de la liberté et de l’égalité (…) ». Il y exprime aussi « que dans le moment où nous nous sommes déclarés tous égaux. [...]Je désirerais donc que la paye fût uniforme, depuis le simple volontaire jusqu’au commandant de bataillon[52].
Le 29 août, il y souhaite « le renouvellement de tout l’état-major de l’armée, à l’exception du très petit nombre d’officiers généraux qui se sont déclarés nettement patriotes. »
« Des grandes calamités frappent cet empire. Des vils intrigants et des scélérats conspirent encore contre notre liberté ; la mollesse s’empare d’une partie de nos législateurs, et la patrie, souffrante appelle à grands cris des hommes pour la sauver. De toutes parts les bras sont levés Contre la tyrannie ; la classe la plus indigente du peuple est celle qui veut la liberté et qui saura la conserver au prix de sa vie. Les esclaves sont à nos portes, ils sont dans nos foyers. Eh bien, montrons-nous ce que nous sommes et ce que nous voulons être ; si les lâches nous présentent des fers, ensevelissons-nous sous les ruines de la liberté ; si au contraire ils veulent se joindre à nous, marchons où la gloire nous appellera, allons briser leurs chaînes, et montrons ce que peut un peuple libre qui connaît sa souveraineté.
Les Coriolans veulent tremper leurs mains perfides dans le sang de leurs frères ; ils veulent renverser l’édifice qui a coûté tant de peines et de veilles à d’illustres citoyens, amis de l’égalité et des droits de l’homme ; ils veulent mettre à contribution ce que nous avons pendant quatre années soutenues avec autant de courage. La journée du 10 est prête à se renouveler non loin cette cité ; un grand carnage se prépare : les satellites de Prusse et d’Autriche veulent rétablir le despotisme. Eh bien, marchons où la gloire nous appelle, sonnons le tocsin dans tous les départements, et qu’une armée formidable, composée de Scaevolas, anéantiss