Quel révolutionnaire français était Jean Leclerc éditeur du journal louisianais "L’Ami des Lois" ?

Avec les deux vagues d’émigration de réfugiés de Saint-Domingue vers la Louisiane en 1804 puis en 1808, il eut à La Nouvelle-Orléans un foisonnement de la presse francophone à La Nouvelle-Orléans. Et parmi ces nouvelles publications fut lancé, par un certain Jean Leclerc,
« l’Ami des lois » qui deviendra en 1815, « L’Ami des lois et Journal du soir »[1]. Des historiens et auteurs américains de la fin du XIXe diront de lui :
« Deux autres journaux d’un ordre plus élevé méritent d’être honorablement mentionnés. C’étaient l’Ami des Lois, édité par Leclerc, et le Courrier de la Louisiane par Thierry.
Ce dernier écrivait fréquemment des articles de mérite extraordinaire. Ils étaient graves, nobles, parfois sarcastiques, mais jamais frivoles ni manquants de dignité.
Leclerc était d’un caractère différent. L’esprit de Leclerc était plus léger. Si Thierry était le Richard Cœur de Lion de la presse, Leclerc était son Saladin, et extrêmement combatif. Mais il utilisait la lame de Damas au lieu de la hache de combat. Il se réjouissait de la satire et du sarcasme, qui, cependant, dégénéraient en un langage grossier dépassant les limites de la décence polie ». [2]
« Jean Leclerc est le taon le plus piquant et le plus spirituel que la Louisiane ait connu. Il devait être une peste pour tout le monde, car personne n’était à l’abri de ses traits pas mêmes les juges. Il faut lui pardonner ses attaques pleines de malice, car elles ont déchaîné le rire de toute la ville.
(...) Leclerc acquit bientôt la réputation d’écrivain sarcastique par excellence. Toutefois, ses articles ne dépassaient pas les limites de l’honnête décence. Il ignorait le mot peur et était toujours prêt à recevoir avec les armes de leur choix les personnes qui se sentaient blessées par sa prose. » [3]

Ces deux analyses nous décrivent un journaliste dont la plume acérée écrivait des articles au vitriol et prêt à tout pour une « punchline », l’emmenant même devant un juge ; mais ce n’était qu’une facette de sa personnalité.
Car c’était un homme de conviction et de courage, n’hésitant pas à faire partie des vaillants défenseurs de La Nouvelle-Orléans lors de la grande bataille du 8 janvier 1815[4].
Son journal « L’ami des lois » qui relatait la vie louisianaise, sa politique, celle des États-Unis d’Amérique, ainsi que celle du monde ; se voulait aussi le chantre de toutes les causes révolutionnaires sud-américaines et surtout mexicaine. Ainsi « l’Ami des Lois » reproduira des proclamations de gouvernements provisoires indépendantistes en lutte contre le pouvoir madrilène.[5]
À La Nouvelle-Orléans Jean Leclerc fut l’ami de ce que certains ont considéré comme des « pirates » tels que les frères Laffite, Renato Beluche, Dominique You et Louis-Michel Aury, mais qui étaient aussi des corsaires avec lettres patentes de ces nations insurgées.
Ces corsaires furent aussi soutenus par des financiers américains espérant y trouver un bénéfice, eux aussi ami de Jean Leclerc comme Edward Livingston, Auguste Davezac.[6]
Son journal fut un temps mis à disposition de la cause francophone et lors de la première campagne électorale louisianaise participa à la campagne électorale pour que le gouverneur soit « francophile ».
Notre journaliste louisianais fut aussi en relation, avec les bonapartistes de La Nouvelle-Orléans. Avec l’annonce du retour de Louis XVIII en France, il se fit un grand critique du pouvoir, car même s’il avait pris la nationalité américaine, l’idée du retour des Bourbons sur le trône de France lui était insupportable.
Car saviez-vous que c’était un ex-révolutionnaire français, ayant son nom indiqué dans certains livres d’histoire consacrée à cette période ? Et qu’il eut maille à partie avec Robespierre comme il l’écrit en 1811 dans un journal concurrent, néanmoins ami :
« J’invite le public à lire avec attention, l’article inséré aujourd’hui dans l’Orléans Gazette. Rien n’est plus capable de les guider pour les élections qu’ils sont à la veille de faire. Dans le fait, si la révolution Française fut si atroce et si (mot illisible) si on chercha à envahir les propriétés (?) d’autrui, c’est parce ce que la can… du barreau s’empara des assemblées et y porta ses habitudes ; ROBESPIERRE était avocat DANTON l’était aussi ; CARRIER était procureur : pendant que ces honnêtes gens dominaient, les jurisconsultes éclairés et probes étaient envoyés en prison et de là à l’échafaud.
Alors quelques hommes honnêtes et courageux, osaient aller visiter dans les prisons les civils désignés par les assassins judiciaires.
j’ai été emprisonné deux fois dans ma vie ; la première par ordre de ROBESPIERRE ; la seconde, par celui du Juge MARTIN.[7] Dans l’une et l’autre circonstance, j’ai excité l’intérêt des hommes honnêtes ; mais j’ai eu contre moi ces écrivassiers qui débitent de plates calomnies, et se dispensent de les signer, plus encore par crainte que par honte. Ce sont des les lâches qui ensanglantent les révolutions, les braves en sont les victimes.
J. Leclerc »[8]

De plus, son nom fut même cité dans la Sainte-Famille d’Engels et Marx comme premier germe du communisme :
« La Révolution française a fait germer des idées qui mènent au-delà des idées de tout l’ancien état du monde. Le mouvement révolutionnaire, qui commença en 1789 au Cercle social, qui, au milieu de sa carrière, eut pour représentants principaux Leclerc et Roux et finit par succomber provisoirement avec la conspiration de Babeuf, avait fait germer l’idée communiste que l’ami de Babeuf, Buonarroti, réintroduisit en France après la révolution de 1830. Cette idée, développée avec conséquence, c’est l’idée du nouvel état du monde. »
Effectivement, Jean Leclerc le journaliste louisianais était la même personne que Jean Théophile Victoire Leclerc D’oze (Doze, Doz…), plus connu comme Leclerc de Lyon, le signataire avec Varlet du manifeste rédigé par l’abbé Roux, et un des principaux représentant du courant des enragés.
L’enragé, époux de Pauline Léon l’ex-présidente du club des citoyennes républicaines, après avoir survécu à la Terreur, disparaissait mystérieusement à la fin du Directoire, et cela malgré de nombreuses recherches. Les preuves et le récit de sa seconde vie en Louisiane tout aussi étonnante que sa première sont enfin détaillés dans « Jean Théophile Victoire Leclerc, la vie d’un enragé »[9], et en voici en résumé sa première vie comme révolutionnaire français.

Jean Théophile Victoire Leclerc, dernier d’une fratrie de trois sœurs et deux frères aînés était né le 22 décembre 1771 au lieu-dit de la « Coste » à Lézigneux, commune proche de Montbrison dans le département actuel de la Loire. Il était issu d’une longue ligné d’ingénieurs des ponts et chaussées dont son père Grégoire Leclerc époux d’Antoinette Deville dite Laboulais. Après avoir vécu un temps dans le Forez, la famille suivit Grégoire à Thiers où Jean Théophile pendant un temps fut élève en philosophie au collège de cette ville[10]. Son éducation sera ensuite prodiguée par son père.
Aux prémices de la Révolution, ses deux frères Nicolas François Angélique et Hilaire Antoine sont envoyés aux Antilles tenter leur chance. Lorsque les événements de l’été 1789 éclatèrent, Grégoire fit enrôler aussitôt Jean Théophile dans la garde nationale de Clermont-Ferrand où ils résidaient depuis peu. Jean Théophile écrivit lui-même : Je me fis inscrire un des premiers sur le registre de la garde nationale de Clermont-Ferrand que mon père habitait alors et quoiqu’à mon âge et ma petite taille puissent me dispenser du service, je m’en acquittai régulièrement jusqu’au mois de mars 1790. »[11] date où Jean Théophile partit aussi tenter sa chance outre-Atlantique[12]. Il embarqua à Bordeaux pour la Martinique y rejoindre ses deux frères aînés dans le but de devenir « commis marchand. » [13]
Il arriva à l’automne 1790 la Guadeloupe pour participer à l’insurrection[14] qui fut réprimée par l’autorité royaliste gouvernant sur les deux îles[15]. Et Jean Théophile, fait prisonnier, fut renvoyé avec d’autres en France dans la gabarre l’Espérance[16]. Mais l’état d’esprit des Autorités royalistes des îles était à l’opposé de celui de la population de Lorient. Lorsque la gabarre arriva le 24 juillet 1791, des officiers royalistes furent reconnus et pris à partie par des soldats ayant servis dans les îles, une menace d’émeute gronda pendant 48 heures. Jean Théophile qui arriva ainsi à Lorient comme prisonnier « dénué de toutes ressources » fut donc bien accueilli dans cette ville aux idées révolutionnaires. Il s’inscrivit au club des jacobins[17] de Lorient et le 28 septembre, sous le nom de Leclerc Doze s’enrôla comme volontaire dans la sixième compagnie du premier bataillon des gardes nationales du Morbihan à Vannes.[18]
Depuis l’entrée au port de Lorient de l’Espérance, plusieurs autres navires arrivèrent des Antilles avec la même problématique, des soldats révolutionnaires renvoyés en France avec des cartouches infamantes,[19] mais accueillis comme des héros par les populations portuaires. Ce fut le cas pour le bataillon du Forez. Leclerc raconta : « Les grenadiers du régiment de Forest déportés des colonies par ce même gouverneur dont j’avais été la victime débarquèrent au Port-Louis, le Ministre Narbonne les flétrit par un jugement arbitraire ; ils étaient au désespoir. »[20] Une souscription est lancée pour financer le voyage à Paris permettant de conduire ces sous-officiers auprès des plus hautes autorités parisiennes afin qu’ils soient réhabilités et Leclerc est nommé leur défenseur. Et le 23 mars 1792, il honore avec brio cette mission à la société des jacobins de Paris.[21] Fort de cette gloire, il s’enhardit et le premier avril 1792 toujours devant la même société, il lit sous le patronyme de Le Clerc-Doze, une lettre écrite par lui-même adressée au Roi, virulent pamphlet anti royaliste.[22]
Le 27 du même mois, il quitte Paris pour rejoindre l’armée du Rhin. Mais, le 22 juin tandis qu’il effectue une mission dans le Brisgau, il est dénoncé par Dietrich, le maire de Strasbourg, qui envoie à Pétion, maire de Paris, le signalement de ce particulier très suspect.[23] Jean-Théophile retourne donc à Paris et se justifie en accusant Dietrich ne pas être un vrai révolutionnaire. Il reçoit alors une affectation « dans les hôpitaux ambulants de l’armée du centre ». Durant l’hiver 1792/1793, il obtient une permission de trois mois qu’il passe en partie auprès de ses sœurs à Montbrison.[24] Mais ayant pris goût aux joutes oratoires, il en profite aussi pour intervenir à Paris, les 2 et 3 février 1793, à la Société fraternelle des deux sexes au club de jacobins. Suite à sa première intervention, il fut chargé de rédiger une pétition contre l’argent marchandise, dont il lira le projet le lendemain. [25]
À la fin de sa permission, il fut transféré à l’état-major de l’armée des Alpes basé à Lyon.[26] Dans cette ville, il adhéra au Club central et se lia avec Marie Joseph Chalier, qu’il avait rencontré précédemment à Paris. Le jacobin Chalier et ses alliés dirigèrent la ville de Lyon d’une main de fer, mais la menace girondine les faisait vaciller. Et voyant le vent tourner, début mai Jean Théophile fut envoyé comme député officieux du département du Rhône-et-Loire. Il écrira « député des patriotes » sans plus de précisions. Le 9 mai, Leclerc rédigea un billet à Chalier : « Ami rappelle-toi de ta promesse, de ta promptitude surtout. Sous peu, je serai à Lyon, je te dirai le reste, et la patrie sera sauvée. Adieu. » [27] Les interventions pleines de fougue et de violence verbales de ce jeune homme de 21 ans interpellèrent le Jacobin Tarpon qui écrivit le 11 mai à un ami domicilié à Lyon :
« Ami un jeune homme, nommé Leclerc, est arrivé mercredi ! il parut de suite aux jacobins, il y fit part de ses intentions, on fut satisfait de son raisonnement ; mais quant à son plan, il aurait dû le tenir plus secret. »[28]
Quel était son plan ? Dans le 18e numéro de « l’Ami du Peuple de Leclerc » du 1er septembre il semble le dévoiler :
« J’avais trouvé ce moyen en mon particulier dans la formation d’une légion révolutionnaire et j’avais conçu le plan, d’accord avec Châlier de faire jeter en une nuit, six mille aristocrates dans le Rhône. Beaucoup d’excellents patriotes, à qui je parlai de ce projet, pâlirent et frissonnèrent d’horreur. Et bien ! qu’ils aillent contempler sur les débris fumants de cette cité les funestes effets de leur modération (...) »[29]
Le 12 mai donc, Théophile Leclerc se présenta aux jacobins comme député des autorités constituées de Lyon. En vrai partisan de « Chalier », il proposa « d’établir le machiavélisme populaire » et « d’épurer la nation dans le sang ».[30] Mais Leclerc avait sous-estimé la force girondine dans la Capitale, car même si les partisans brissotins étaient plutôt en province, leurs leaders étaient à la tête des instances dirigeantes du pays, pouvoir que souhaitaient leur contester les jacobins parisiens. Les interventions tempétueuses de ce jeune électron lyonnais pouvaient s’avérer gênantes. Et donc la légitimité de la mission de Leclerc fut contestée, même au sein des jacobins. Le 16 mai, Jean Théophile se présenta à l’assemblée du Conseil général de la commune de Paris regrettant la faiblesse des montagnards. Il termina en disant qu’il n’y avait qu’un seul moyen de sauver la République « (...) qu’il faut que le peuple se fasse justice, parce que la justice habite toujours au milieu du peuple et qu’il ne se trompe jamais[31]. Le 19 mai au soir, il fut agressé sur le Pont-Neuf[32], cette agression suscita quelques commentaires à la séance des jacobins du lendemain. Pour eux, l’inconséquence de Leclerc avait entraîné cette réaction contre-révolutionnaire, ils demandèrent donc à Leclerc de s’expliquer. Il y eut même deux commissaires nommés pour cela. Malgré tous les efforts et la fougue de Leclerc, ou peut-être aussi un peu à cause,[33] comme on vient de le voir, Chalier ne fut pas sauvé. Une insurrection via les clubs rolandistes le renversa ainsi que le pouvoir jacobin lyonnais le 29 mai.[34]
À Paris, c’est l’inverse qui allait se produire, les factions et les sections les plus populeuses grondaient. La vie était chère, l’inflation et l’effondrement de l’assignat rendaient le prix du pain prohibitif. Les brissotins étaient attaqués de toutes parts par les pétitions des comités de sans-culottes, dont celles des citoyennes républicaines révolutionnaires.[35] Pour contrôler ces pétitions, ils créèrent une « commission des douze » qui n’était composée maladroitement que des leurs.
L’annonce précédemment de la trahison du général Dumouriez[36] mit les girondins dans l’embarras, ce que ne manqua pas d’utiliser Marat et Robespierre. Jean Théophile Leclerc sachant rebondir se rapprocha de Roux[37] et de Varlet[38] et fut nommé membre du comité révolutionnaire de l’Évêché dès le 29 mai, et le 31 à la commission des Postes avec pour mission de trier les lettres suspectes. Le même jour, à la sonnerie du tocsin les insurgés de l’Évêché arrivèrent en masse en fin d’après-midi à l’assemblée pour y adresser de multiples pétitions alors qu’une foule s’était amassée autour de l’assemblée. Ils n’obtiendront que la suppression de la controversée commission des douze, et cela malgré l’intervention de Robespierre. Nombreux furent les mécontents du résultat. Par exemple Leclerc qui à la séance du 1er juin des jacobins lança : « Je serai court, l’agonie des aristocrates commence : le tocsin sonne ; le canon d’alarme a été tiré. La Commune est debout ; le peuple se porte à la Convention ; vous êtes peuple, vous devez vous y rendre. »[39]
Le 2 juin, Paris apprit que les jacobins avaient été défaits à Lyon. Le comité insurrectionnel avec près de 80 000 citoyens issus de sections et clubs, les sans-culottes et la garde nationale encerclèrent l’assemblée et demandèrent la destitution des députés girondins. L’assemblée fut obligée d’obéir à « la voix du peuple » et ces députés furent arrêtés. De nombreux jacobins en étaient satisfaits et voulaient en rester à ce statu quo, mais certaines voix à leur gauche se firent entendre.
Ainsi le 4 juin 1793, à la Convention Leclerc martela que : « C’est à tort que l’on croit la révolution achevée… » Il fut hué.[40] Mais il était pourtant vrai que quelques girondins mis en résidence surveillée s’étaient enfuis, ce dont protesta Leclerc avec véhémence :« Pourquoi mettez-vous tant de lenteur à vous défaire de vos ennemis ? pourquoi craignez-vous de répandre quelques gouttes de sang ? » Cela lui vaudra une courte arrestation.[41]

Pendant ce temps-là, la constitution était en cours de rédaction et le 22 juin 1793, Varlet, Roux et Leclerc intervinrent aux cordeliers, leurs discours respectifs allaient dans le même sens. Ils réclamaient une réglementation des prix, et critiquaient la notion de propriété. Roux se plaignait que l’article punissant de peine de mort les agioteurs puisse ne pas être y être inclus ! Ils furent alors désignés pour présenter à la Convention une pétition qui restera dans l’histoire sous le nom de « Manifeste des enragés ». Rédigée par l’abbé Roux et signée par Leclerc et Varlet, elle fut proposée le 25 juin.[42] En voici un court extrait :