Traces des Guerres de Vendée dans les registres d'état civil et de catholicité du Nord Deux-Sèvres
Dans l’Ouest de la France, à la toute fin du XVIIIe siècle, durant la Révolution française, se déroula une des pages les plus tragiques de l’histoire contemporaine : une guerre civile connue sous le nom de Guerre(s) de Vendée. La période la plus violente, celle des grandes batailles, de l’expédition outre-Loire, puis des colonnes infernales et de l’ultime résistance dure de mars 1793 (début de la révolte) au premier semestre 1796 (moment où la population déposa massivement les armes et qui vit disparaître les derniers chefs : Stofflet (fusillé en février), Charette (fusillé en mars), Sapinaud et d’Autichamp (capitulent en mai), Forestier (quitte la France au début de l’été)…).
La zone insurgée couvre un territoire assez vaste qui englobe la moitié nord du département de la Vendée, le nord des Deux-Sèvres, et des parties sud-Loire des départements de la Loire-Atlantique et du Maine-et-Loire.

Nous nous sommes posés la question si cette période sanglante avait laissé des traces dans les registres d’état civil, et avons concentré nos premières recherches dans le territoire insurgé du nord du département des Deux-Sèvres (zone la moins étudiée en règle générale) ; dans l’espoir de poursuivre ultérieurement cette recherche aux autres départements.

Première trace : l’absence de traces…
Nous avons recherché dans les registres d’une soixantaine de communes. Un premier constat s’impose : nombre de celles concernées par l’insurrection n’ont plus de registres d’état civil sur la période 1793-1796 ; soit plus aucun registre, soit des registres partiellement lacunaires. C’est le cas entre autres des communes d’Argenton-Château, Les Aubiers, Beaulieu-sous-Bressuire, Boismé, Bressuire, Brétignolles, Le Breuil-sous-Argenton, Cerizay, Chiché, Clazay, La Chapelle-Gaudin, Cirières, Combrand, Courlay, Étusson, Faye-L’Abbesse, La Forêt-sur-Sèvre, Geay, Genneton, La Coudre, Mauléon, Montravers, Noirlieu, Noirterre, Nueil-les-Aubiers, La Petite Boissière, Le Pin, Saint-Amand-sur-Sèvre, Saint-André-sur-Sèvre, Saint-Aubin-de-Baubigné, Saint-Clémentin, Saint-Porchaire, Voultegon, etc. Pour certaines d'entre elles, ces disparitions concernent même les registres paroissiaux antérieurs à la Révolution.
Sous la Restauration, la plupart de ces communes ont tenté de reconstituer les registres disparus à la suite d’une circulaire du gouvernement datée du 4 novembre 1814. Mais ces registres reconstitués ne sont bien souvent qu’une liste plus ou moins longue de noms et de dates, très succincte et sans précisions, rédigée sur les déclarations de témoins. Il est évident que ces enquêtes menées des années après ne mentionnent qu’une infime part des naissances, mariages et décès des années de troubles.

La disparition des registres s’explique de plusieurs façons :
Certains évènements peuvent avoir rendu impossible, momentanément, la tenue de ces documents. Ce fut le cas à Saint-Jean-de-Thouars dont un registre précise :
« Le trente mai mil sept cent quatre vingt treize ; l’officier public interrompus de ses fonctions par la prise de Thouars… » (2 E 256-7).
La « prise de Thouars » en question n’est autre que la bataille qui, le 5 mai 1793, vit les insurgés prendre d’assaut la ville (Saint-Jean est limitrophe de Thouars) défendue par le général Pierre Quétineau. Notons que les registres de Thouars, quant à eux, ne font aucune référence à ladite bataille (aucun acte de décès entre le 23 avril et le 9 mai – ce qui laisse penser que, comme ce fut le cas à Saint-Jean, les officiers communaux avaient d’autres occupations que de recenser les décès).
Notons quand même que les registres de Thouars (14 num 56/46) précisent qu’entre le 11 juin et le 1er septembre 1793, des prêtres de la ville ont tenu les registres des décès en «l’absence du citoyen Redon ex officier public, et la dissollution de la municipallité occasionnée par les Rebelles ».
Mais la raison principale reste la destruction de ces registres durant la guerre civile. Un grand nombre de communes ayant été incendiées, en particulier durant l’année 1794 lors du passage des colonnes infernales.
Lors de la tentative pour retranscrire les actes perdus sous la Restauration, certains rédacteurs n’ont pas hésité à rappeler les faits.
Ainsi à Clazay, il est précisé que la reconstitution des registres d'état civil a pour but de « réparer les désordres occasionnés par la révolution dans la tenue des dits registres » (expression que l’on retrouve dans d’autres communes) (4 E 402/1). À Cirières, la raison évoquée est plus précise : «l’incendie des registres de l’état civil causé par la guerre Vendéenne » (4 E 403/1). À Courlay, la mention est quasi identique à celle de Cirières, mais le rédacteur apporte une précision qui nous éclaire sur le ressenti des évènements un quart de siècles plus tard. Cette fois l’incendie qui détruisit les registres est le fruit de « la guerre qui a ravagé la Vendée » (4 E 403/1). Les actes reconstitués de Faye-L’Abbesse (4 E 402/1) précisent eux, que la rédaction des actes ne put se faire parce que « le pays était en insurrection » (acte de décès de Françoise Roi (page 9) aux environs de Noël 1793 et de Marie Dugast dans le courant de l’année 1793).

Précisons enfin, que la perte de ces documents est d’autant plus cruelle pour les chercheurs actuels, que pour certaines communes leur unique copie fut également détruite, accidentellement, lors de l’incendie des Archives départementales de Niort dans la nuit du 19 au 20 décembre 1805. Les registres reconstitués de Noirlieu, rappellent d’ailleurs ce dernier évènement en précisant que les documents ont disparu « tant par l’effet de la guerre civille que par l’incendie des archives du département » (4 E 402/1).

Heureusement, ces lacunes pour cette période révolutionnaire peuvent parfois être comblées par les registres de catholicité.
Des actes témoin des batailles
Pour ce qui est des communes ayant conservé tout ou partie de leurs registres, les actes évoquant la guerre sont d’un intérêt variable. Mais certaines communes sont plus riches en détail que d’autres. C’est le cas de Nueil-Les Aubiers où en juillet 1793, sont mentionnées dans les registres de catholicité plusieurs personnes tuées durant la bataille de Châtillon (Mauléon) (5 juillet 1793) (12 num 34/12), dont une originaire de la commune de Bretignolles (indication intéressante, montrant combien il était difficile, au cœur des troubles, de faire constater un décès dans la commune d’origine du défunt).


La bataille de Châtillon (3 juillet 1793) est également mentionnée dans les registres de catholicité de la commune de Saint-Aubin-de-Baubigné (J 2033). Là, également les idées du rédacteur de l’acte se devinent au travers du vocabulaire employé :
« Le quatre du mois de juillet mil sept cent quatre vingt treize a été inhumé par François Peridy et Aubin Viau, le corps de Jacques Doyer journalier âgé de cinquante huit ans ou environ assassiné le trois jour de l’invasion de Chatillon par les soi disant patriottes… »
Il est d'ailleurs intéressant de souligner que le vocabulaire employé dans les registres varie si le rédacteur est plutôt partisan de la révolte ou non. Le constat est évident en particulier sous la plume des prêtres rédacteurs des registres de catholicité pour qui les soldats de la Républiques sont des "assassins". Terme qui n'est pas employé par les rédacteurs des actes d'état civil des communes limitrophes de la zone d'insurrection et d'opinions plutôt républicaines.
Les actes des registres de catholicité de de la commune d’Étusson (J 2049) sont riches en souvenirs de victimes de batailles, certains parfois en nommant le lieu, d’autres en se contentant de préciser « mort au combat ». Ainsi, est tombé à la bataille de Coron (9 au 11 avril 1793) un certain Jacques XXX ; et André Besnard « au choc de Luçon (14 août 1793) a été pris prisonnier ou tué ».
En juin, Jean Frogé est « mort au combat » ; Jean Gaufreteau et Jean Richardeau sont « mort dans la même bataille » ; en juillet, Pierre Braud est également « mort au combat ». En septembre, un certain Retireau « a été pris et fusillé sur le champ par les républicains » et Louis Guillet « est mort de blessures recues au combat »…

La précision du lieu d’une bataille reste pourtant une exception, on la trouve néanmoins aussi dans les registres de catholicité de Noirterre, où immédiatement après la guerre ont été rédigées quelques pages, « registre de tous ceux ont été trouvé morts dans les campagnes ainsi que de ceux qui ont été tué dans les batailles selon le rapport des personnes cy après nommée qui se disent les avoir vu et connue. Ensemble des baptêmes qui se sont faits pendant les temps cy après marqués » (1 J 272). Ainsi y est rappelé le souvenir de « Pierre Garsuault bordier a la Chapelle Gaudin a été tué au bois du moulin aux chèvres » (sans précisions de date – Il y eut deux batailles au lieu-dit « Bois du Moulin aux Chèvres » (Nueil-les-Aubiers), le 3 juillet 1793 et le 9 octobre 1793).
Vers la défaite des Vendéens
À l’automne 1793, le territoire insurgé est enserré par les troupes de la République (entre 70 000 et 100 000 hommes [JC Martin – Les Vendéens – PUF avril 2022] ). Ces armées entrent en « terres ennemies » poussant la Grande Armée Catholique et Royale d’Anjou et du Haut Poitou à traverser la Loire après la terrible défaite de Cholet (17 octobre 1793) entraînant avec elle une population composée d’environs 60 000 à 80 000 personnes dont approximativement 20 000 hommes en armes. Le reste étant les femmes, les enfants, les vieillards, les blessés et des hommes non-combattants qui fuient l’avancée des Républicains (JC Martin – Op cit).
Le nord Deux-Sèvres fut moins concerné par cet exode que l’Anjou, même si les communes de Boismé ou de Saint-Aubin-de-Baubigné, suivirent leurs généraux, Lescure et La Rochejaquelein dans cette « Virée de Galerne ». Mais la plupart des insurgés « restèrent au pays » entrant en guérilla, se cachant ou déposant les armes. Pourtant quelques registres évoquent cette période de la fin de 1793.
Les registres de Saint-Hilaire-des-Échaubrognes (commune depuis rattachée à Saint Pierre-des-Échaubrognes et faisant partie du département du Maine-et-Loire avant de revenir dans celui des Deux-Sèvres) au début de 1794, comportent une note évoquant la traversée de la Loire (2 E 281-5) : « Les premiers actes de ce registre ont été écrits par un commissaire et non signés par lui après le passage de la Loire, temps où il ne parraissait aucun prêtre ».
Un autre témoignage évoque la terrible marche des Vendéens qui les mena à leur perte devant les murs de Grandville, dans les rues du Mans, devant Angers et dans les marais de Savenay… Un acte dans les registres de catholicité de Nueil-les-Aubiers qui précise : « Dans le courant du mois de décembre mil sept cent quatre vingt treize Jean Baptiste Burget charon âgé de vingt six ans a été vu mort à La Flèche (bataille du 8 au 11 décembre 1793) par un nommé Chatelet d’Anjou » (12 num 34/12).