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Un rédacteur mystérieux

Auteur : Frédéric Augris


The British Library conserve un document qui est la dernière lettre connue du général Vendéen Henri Forestier. C'est une lettre datée du 22 février 1806 et adressée à William Windham (ministre anglais de la Guerre de 1794 à 1801). Ce document est émouvant puisque Forestier, qui décédera d'une longue maladie à Londres le 14 septembre 1806, y évoque le mal qui le ronge et qui donc, finira par l'emporter à 31 ans.


William Windham (1750-1810) (peinture de Thomas Lawrence en 1803)

Ce n'est pas le seul intérêt de ce document, puisque le général Vendéen y explique qu'il est dans une situation dramatique (Forestier vient de voir échouer le vaste complot qu'il menait, depuis plusieurs années, contre Napoléon)[1], insiste sur ses bonnes relations avec l'Angleterre (qui finançait son complot) et demande que l'on aide son premier lieutenant à revenir sur le continent pour chercher du soutien auprès de puissances étrangères.

Mais outre les intérêts biographiques et historiques de cette lettre, elle recèle un secret surprenant pour les amoureux des belles lettres.

Voici le texte :

"Monsieur,


J'ai éprouvé une satisfaction bien grande, par l'accueil plein de bonté que votre Exelence a fait aux expressions de mon attachement et souvenir ainsi qu'à mon aide de camps. Il est douloureux pour moi que les suites de mes travaux et peines diverses aient attéré ma santé au point de m'empêcher encore d'aller moi-même vous témoigner ma reconnaissance ; et profiter de cet accueil précieux qui entretient mes plus chères espérences. La certitude que Mr Frère, mieux que personne, peut informer votre Excellence de ce que j'ai à lui dire adoucit le chagrin que me cause le contretems fâcheux qui me retient. Mr Frère qui a dans l'âme ce feu sacré qui anime la votre vous dira la position afligante où je me trouve et réclamera, en mon nom, toute votre énergie pour y apporter le remède nécessaire, et

metre un frein à des malheurs et des calamités atroces et éminentes.

Je dois envoyer sans délai, dans le continent, mon premier lieutenant général. J'aurais besoin de secret pour lui épargner les dangers qui nous poursuivent partout. Si votre Exellence daigne s'en occuper, ses combinaisons heureuses le mettront à l'abri du malheur.

Il faudrait avoir des passeports pour lui et son secrétaire ; des lettres de recommandacion pour Me Pierrepoint Ministre de S.M à Stokolm, que pour l'ambassadeur de S.M en Russie, également des passeports des trois ministres de Suède Russie et Berlin pour ne pas rencontrer aucun obstacle en route. Cet objet m'intéresse vivement, et je vous suplie de vouloir m'accorder sur ce point toute votre protexion. Je laisse à Mr Frère des soins plus intéressants encore et dont la réussite me donnera peut-être la vie et les forces que les plus cruelles inquiétudes semblent vouloir anéantir dans ce moment-cy.


Je place dans votre amour pour la justice et la vertu un confiance qui ne me permet pas de douter du succès de cette démarche.

J'ai l'honneur d'être avec le plus respectueux attachement


De votre Exellence


le très humble et très obéissant serviteur.


Berks, Huntercomb

Le 22 de février 1806


Le Gl Forestier"[2]






Le propos de cet article n'est pas de revenir sur le contenu ou sur le contexte historique de cette lettre [3], même si, nous le verrons, le secret de ce document apporte un éclairage nouveau sur la fin de vie du général Henri Forestier.

Le propos porte en vérité sur l'identité de l'auteur du document, puisqu'un doute s'impose sur le fait que le général Forestier ait lui-même écrit cette lettre.

Petit rappel historique concernant Henri Forestier.

Né probablement en 1775 de parents inconnus et élevé par l'abbé Forestier de La Pommeraye (Anjou, aujourd'hui en Maine-et-Loire) dont il adoptera le patronyme. En 1793 il prend les armes contre la République française dès les premiers jour de la guerre civile qui va entrer dans l'histoire sous le nom de Guerre de Vendée. Commandant de la cavalerie de la Grande Armée Catholique et Royale d'Anjou et du Haut-Poitou, il devint en 1796 le dernier général en chef de cette même armée. Après la guerre il n'eut de cesse de préparer une nouvelle insurrection dans le but de renverser le régime en place, avec l'aide et le soutien de l'Angleterre. Initiateur de la révolte de 1799, il s'illustra par la suite en mettant sur pied un vaste réseau entre Londres et Nantes, via Madrid et Bordeaux, afin de financer une fois encore une nouvelle guerre civile. La maladie eut donc raison de cet infatigable comploteur à l'automne 1806.[4]

Revenons maintenant sur la fameuse lettre. Quelles sont les raisons qui font douter du fait que Forestier la rédigea lui-même ?

D'abord parce que les documents écrits de la main du général sont extrêmement rares. Mais surtout parce qu'il semble y avoir une différence graphique entre la lettre elle-même et la signature ; en particulier le F majuscule et les R.


Comparaison entre la signature et et le patronyme Frère écrit dans la lettre. La graphie est différente.



Une question s'impose alors : Qui a rédigé la lettre ?


Pour qui connait la vie du général, un nom vient tout de suite à l'esprit : Le marquis Philibert Louis Orry de Fulvy. Ce dernier, né en 1736, était un homme de lettre éminent. Il était fils d'un intendant des finances, fondateur de la Manufacture de porcelaine de Vincennes (devenue "de Sèvre"). Il avait acquis une certaine réputation pour ses poésies. Émigré à Madrid en 1791, où il publia (en 1798) un recueil de fables.



C'est également dans la capitale espagnole que le marquis rencontra la comtesse d'Oeynhausen dont il devint un ami. Cette dernière fut également extrêmement proche d'Henri Forestier qu'elle rencontra à Madrid probablement vers 1800/1801. Et en fréquentant la comtesse, Forestier se lia d'amitié avec le marquis.

Réfugié en Angleterre, Fulvy s'installa au manoir d'Huntercombe dans le Berkshire non loin de Londres, comme en témoigne sa correspondance avec la comtesse, en particulier une lettre datée du 12 mai 1806 qui porte l'en-tête du manoir[6]. Ainsi le marquis habitait dans le même manoir où fut rédigée la lettre sujet de cet article.


La comparaison des écritures nous permet d'affirmer que Fulvy ne fut pas le rédacteur.


Huntercomb écrit de la main du marquis de Fulvy

Une autre hypothèse s'impose alors quant à l'identité du rédacteur : La comtesse d'Oeynhausen en personne.

Portrait de la Comtesse (1780) par Franz Joseph Pitschmann.

Leonora de Almeida Portugal Lencastre et Lorena, Marquise de Alorna et Comtesse d'Oeynhausen est née à Lisbonne le 31 octobre 1750. Elle appartient à la haute noblesse portugaise. En 1779 elle épousa le comte Karl August Von Oeynhausen-Gravenburg auquel elle donna plusieurs enfants avant de devenir veuve en 1793. Elle s'installe quelques années plus tard à Madrid où elle rencontre donc Fulvy et Forestier.

Ses relations avec le général Vendéen sont à souligner. Malgré leur grand écart d'âge, ils sont devenu très proches. A tel point que la grande dame s'impliqua pleinement dans le complot de Forestier, rédigea un livre consacré à la première guerre de Vendée d'après les confidences de Forestier lui-même[7], assista ce dernier jusqu'à sa mort, organisa ses obsèques et hérita de ses biens[8]… Une relation qui fit naître des rumeurs infondées de mariage[9]. Pourtant la comtesse fut également accusée en 1809, d'avoir assassiné Forestier… mais au regard de la correspondance qu'elle échange avec Fulvy, cette affirmation ne tient pas. En effet, les lettres entre Fulvy et la comtesse démontrent qu'elle était toujours en bons termes avec le général (qu'il nomme M. Obard, pseudonyme que Forestier utilisait par discrétion) au moins jusqu'en mai 1806 puisque le Marquis écrit le 5 mai : "Aurés-vous la bonté de lui dire mille choses pour moi"[10].



La comtesse retournera vivre au Portugal où elle décédera le 11 octobre 1839, après être entrée dans l'histoire de la littérature poétique de son pays sous le nom de "Alcipe".[11]